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La falsification méthodologique sophistiquée

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Imre Lakatos (Lakatos 1978) a proposé une modification du critère de Popper, (Popper 2002) qu’il a qualifié de « falsification sophistiquée (méthodologique) ». De ce point de vue, le critère de délimitation ne devrait pas s’appliquer à une hypothèse ou à une théorie isolée, mais plutôt à l’ensemble d’un programme de recherche.

Pour la falsification naïve, toute théorie pouvant être interprétée comme falsifiable expérimentalement est « acceptable » ou « scientifique ». Pour la falsification sophistiquée, une théorie n’est « acceptable » ou « scientifique » que si elle a corroboré le contenu empirique au-delà de son prédécesseur (ou de son rival), c’est-à-dire si elle conduit à la découverte de faits nouveaux. Cette condition peut être analysée en deux classes : la nouvelle théorie a un contenu empirique excessif (« l’acceptabilité 1 ») et la partie de ce contenu excédentaire est vérifiée (« l’acceptabilité 2 »). La première clause peut être instantanément vérifiée par une analyse logique a priori ; le second ne peut être vérifié que de manière empirique, ce qui peut prendre une période indéterminée.

Pour la falsification naïve, une théorie est falsifiée par une déclaration « observationnelle » (fortifiée) qui entre en conflit avec elle (ou plutôt, qu’elle décide de l’interpréter comme étant en conflit avec elle). La falsification sophistiqué considère la théorie scientifique T falsifiée si et seulement si une autre théorie T’ présentant les caractéristiques suivantes a été proposée:

  1. T’ a un contenu empirique supérieur à T: c’est-à-dire qu’elle prédit des faits nouveaux, improbables ou même interdits par T;
  2. T’ explique le succès précédent de T, c’est-à-dire que tous les contenus de T sont contenus (dans l’erreur d’observation) dans le contenu de T’; et
  3. Une partie du contenu excessif de T’ est corroborée.

Pour expliquer son concept, Lakatos prend comme exemple une série de théories, T1, T2, T3, … dans lesquelles chaque théorie suivante résulte de l’addition de clauses auxiliaires (ou réinterprétations sémantiques) de la théorie précédente pour tenir compte de certaines anomalies, chacune théorie ayant au moins le contenu obsolète de son prédécesseur. Supposons qu’un tel ensemble de théories soit théoriquement progressif (ou « constitue un changement théoriquement progressif des problèmes ») si chaque nouvelle théorie a un contenu empirique supérieur à son prédécesseur, c’est-à-dire si elle prédit jusqu’à présent un nouveau fait inattendu. Supposons qu’une série de théories théoriquement progressives soit également empiriquement progressive (ou « constitue un changement empiriquement progressif des problèmes ») si certains de ces excès empiriques sont confirmés, c’est-à-dire si chaque nouvelle théorie nous conduit à la découverte réelle de nouveaux faits. Enfin, nous appelons un problème progressif s’il est à la fois théoriquement et empiriquement progressif, et sinon il est dégénéré. Nous acceptons les problèmes comme « scientifiques » seulement s’ils sont au moins théoriquement progressifs ; s’ils ne le sont pas, nous les « rejetons » en tant que « pseudoscientifiques ». Le progrès est mesuré par le degré d’avancement d’un changement de problème, par le degré avec lequel la série de théories nous amène à découvrir de nouveaux faits. Nous considérons une théorie des séries « falsifiée » lorsqu’elle est remplacée par une théorie avec un contenu plus corroborée.

La falsification sophistiquée change donc le problème du mode d’évaluation théorique en problème de l’évaluation des séries théoriques. Ce n’est pas une théorie isolée, mais seulement une série de théories peut être considérée comme scientifique ou non scientifique : l’application du terme « scientifique » à une seule théorie est une erreur de catégorisation.

L’honnêteté neo-justificationniste a exigé de préciser la probabilité de toute hypothèse à la lumière des preuves empiriques disponibles. L’honnêteté de la falsification naïve a exigé l’essai de la falsifiabilité et le rejet de la non-test falsifiabilité et de la falsification. Enfin, l’honnêteté de la falsification sophistiquée exige que l’on essaie de voir les choses sous différents angles, présente de nouvelles théories qui anticipent de nouveaux faits et rejette celles qui ont été remplacées par les plus puissantes.

Selon Paul Thagard, (Thagard 1978) une théorie ou une discipline est pseudo-scientifique si elle répond à deux critères. L’une est que la théorie ne progresse pas et l’autre que « la communauté des praticiens tente peu de développer la théorie en vue de la résolution des problèmes, ne cherche pas à évaluer la théorie par rapport aux autres, et prend en compte de manière sélective les confirmations et les désaccords. » Une différence majeure entre son approche et celle de Lakatos réside dans le fait que Lakatos qualifierait une discipline non progressive comme pseudoscientifique même si ses praticiens travaillent dur pour l’améliorer et la transformer en une discipline progressive.

Bibliographie

  • Lakatos, Imre. 1978. “The Methodology of Scientific Research Programmes.” Cambridge Core. 1978. https://doi.org/10.1017/CBO9780511621123.
  • Popper, Karl Raimund. 2002. The Logic of Scientific Discovery. Psychology Press.
  • Thagard, Paul R. 1978. “Why Astrology Is a Pseudoscience.” PSA: Proceedings of the Biennial Meeting of the Philosophy of Science Association 1978: 223–234.

Nicolae Sfetcu
Email: nicolae@sfetcu.com

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Sfetcu, Nicolae, « La falsification méthodologique sophistiquée », SetThings (20 septembre 2019), URL = https://www.telework.ro/fr/la-falsification-methodologique-sophistiquee/

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