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Platon sur l’éducation – Le roi-philosophe

Éducation

Le modèle éducatif de Platon (paidèia) différencie le niveau d’éducation selon les compétences des élèves. Ainsi, une éducation de base comprend, outre la gymnastique et autres exercices corporels, et la musique (l’exercice de l’esprit), sans être imposée par la force, car un homme libre doit être libre dans la conquête du savoir (Plato et Jowett 1991, 536). Si l’élève a des compétences, il est éduqué en mathématiques pour devenir stratège, et en astronomie pour élever l’âme. Parmi ceux-ci, les meilleurs sont sélectionnés pour devenir de bons leaders, étudiant la philosophie et la dialectique. Les femmes auront les mêmes droits et devoirs que les hommes (Plato et Jowett 1991, liv. V, 455d). Une telle éducation permet de construire une communauté harmonieuse capable d’empêcher les formes dégénératives de la timocratie, de la ploutocratie et de la démocratie, qui conduisent toutes inévitablement au pire des gouvernements : la tyrannie. Platon pense qu’il est bon de former l’esprit ou l’âme, de l’éduquer et de l’entraîner par étapes faciles et progressives, de manière à prêter attention aux formes et non aux choses matérielles. Ainsi, il passera en douceur de principes simples à des principes plus complexes et puissants (Rowan 2014).

Selon Zuckert, pour Platon, dans tout dialogue, la recherche de la sagesse a un effet formatif ou éducatif, exprimé dans le premier principe de l’herméneutique philosophique et dans l’interprétation de tous les textes (Zuckert 1996).

Franck Fischer considère que dans la République la finalité du dialogue est de constituer un État et une société en fondant la légitimité du droit des philosophes à gouverner (Plato et Jowett 1991, liv. V, 474b-c), fondé sur deux impératifs distincts : un personnel et moral, et un second public et politique. Platon, à travers Socrate, dans le cadre du mythe de la caverne, considère que la gymnastique et la musique sont des arts enseignés dans la caverne, tandis que la géométrie et l’arithmétique sont des sciences « du dehors » (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 533c-d), œuvre d’un prisonnier déjà sorti de la grotte et correspondant au troisième segment de la Ligne (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 526e2-3). La géométrie facilite l’observation de l’idée de Bien, et le calcul arithmétique suppose aussi une intuition préalable de l’idée, par le biais d’un raisonnement mathématique (Fischer 2006). Fischer constate que l’équivalence épistémologique entre les sciences mathématiques du livre VI (la connaissance arithmétique permet l’accès à l’Idée) est en contradiction avec leur hiérarchie pédagogique dans le livre VII (la géométrie permet l’accès à l’Idée) (Marrou 1981, 120). La hiérarchie de Platon pour l’éducation dans le livre VII implique la musique, puis l’arithmétique et la logique, puis la géométrie, suivie de la science des solides, de l’astronomie, de la science de l’harmonie et enfin de la dialectique (Plato et Jowett 1991, 521c‑33).

En art, Socrate préconise la mimétique, le mimétisme et l’imitation de bonne moralité pour éduquer les gardiens (Plato et Jowett 1991, liv. III 397d-398b), s’opposant à un poème multiple, composé de plusieurs voix et de plusieurs niveaux de narration (Castelnérac 2011).

Victor Goldschmidt (Goldschmidt 1955) considère qu’il existe une certaine correspondance entre ces sciences et la Ligne qui fournit le cadre d’« une classification des sciences » (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 532c). Ainsi, si la géométrie consiste pour le prisonnier à contempler les ombres de la caverne « de l’extérieur », l’astronomie semble correspondre à la contemplation des constellations nocturnes dans le mythe de la caverne (Plato et Jowett 1991, 516a-b63), permettant le saut du sens intelligible et préparant l’âme à la vision de l’Idée intelligible. Fischer établit, en guise de conclusion, les modalités de mise en relation de l’éducation politique et de l’accès aux idées en général : l’identification du philosophe naturel possible (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 517c4-5 , VII, 540a-b) ; la lutte contre la corruption politique (Plato et Jowett 1991, liv. VII 519b-c) ; l’obligation civique que l’éducation engendre (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 518d4-5 , VII, 526e2-3) ; la vertu pédagogique de l’éducation (Fischer 2006).

Dans les Livres VI et VII de la République, Platon présente au moins trois itérations d’un processus dialectique que le gardien doit suivre pour être un vrai philosophe : l’itération géométrique (Plato et Jowett 1991, 189—192; 509c—511d) ( ligne divisée), itération mythique (Plato et Jowett 1991, 193—197; 514a—518a) (mythe de la caverne) et itération pédagogique (formation des philosophes, divisée en une partie théorique consistant en l’étude progressive des disciplines (Plato et Jowett 1991, 197—212; 519a—534d) et une partie pratique complexe tout au long de la vie (Plato et Jowett 1991, 214—220; 534e—541a), après quoi les connaissances acquises sont appliquées dans la pratique (Lamarre 2013).

Selon James Magrini, les dialogues de Platon se déroulent à travers un processus d’interprétation herméneutique, donc constructif et participatif, dans lequel Socrate et les autres participants au dialogue sont co-éducateurs, donc « il y a un aspect trans-formateur qui pourrait être compris en termes de Bildung », « une notion authentique de paideia, ou d’éducation ». L’utilisation du mythe de la caverne pour illustrer l’éducation philosophique progressive permet, par la méthode dialectique, d’accéder à la connaissance de la forme (eidos) du Bien (Magrini 2012).

Magrini met en évidence les aspects éducatifs de la dialectique en tant que dialogue dans l’herméneutique philosophique dans une citation :

« La Bildung est à la fois un processus formatif et transformateur (dialogique) implicite dans la dynamique de la rencontre herméneutique. Dans la mesure où les parties impliquées dans une rencontre herméneutique en sortent en pensant différemment… La Bildung est transformatrice… La Bildung est, en partie, le processus d’arriver à comprendre ce que nous avons compris différemment. La Bildung est formatrice en ce qu’elle fait naître quelque chose de l’intérieur de la rencontre. Elle forme une civilité herméneutique entre ceux qui s’obligent l’un à l’autre de devenir différents d’eux-mêmes, et qui savent qu’ils sont dépendants de l’autre pour ouvrir des potentialités de compréhension qui ne sont pas actuellement les leurs » (Plato et Jowett 1991, liv. VII, 527b7-8).

Le roi-philosophe

Selon les principes socratiques, pour rendre justice, il faut savoir ce qui est juste (Granata 2001, 68), et cela est mieux connu du philosophe (Movia 1991, 233) (Rutherford 1998, 7‑8) (Arrington 1991, 434‑35). Platon détaille ce concept en soulignant la distinction entre le philosophe (qui cherche les principes de vérité sans prétendre les posséder) et le sophiste (qui se laisse guider par l’opinion comme seul paramètre valable de la connaissance) (Movia 1991, 233). Platon considère les philosophes comme des leaders idéaux pour deux raisons principales : parce qu’ils savent ce qui est juste, et parce qu’ils ne veulent pas diriger (Plato et Jowett 1991, 520e–521b). En réalité, les villes sont dirigées par des gens qui ne savent pas ce qui est juste et se battent avec d’autres pour diriger.

La condamnation à mort de Socrate a conduit Platon à constater qu’il y avait une incompatibilité entre la philosophie et la vie politique. La tâche des philosophes serait donc de veiller à ce que la philosophie ne soit pas en conflit avec l’État, afin qu’un juste ne soit plus condamné à mort. Pour de nombreux athéniens, la philosophie était inutile, comme dans la comédie d’Aristophane Les Nuées, dans laquelle le philosophe est dépeint comme un personnage ennuyeux et pédant perdu dans ses discussions abstraites. Platon prouve que la philosophie a ses racines dans l’histoire, dans la réalité quotidienne, visant des problèmes réels et universels, il existe un lien étroit entre philosophe et politique (Mondin 2022, 144).

« Jusqu’à ce que les philosophes soient rois, ou que les rois et les princes de ce monde aient l’esprit et le pouvoir de la philosophie, et que la grandeur politique et la sagesse se rencontrent en une seule, et que ces natures plus communes qui poursuivent l’une à l’exclusion de l’autre soient obligées de s’écarter, les villes ne se reposeront jamais de leurs maux – non, ni la race humaine, comme je le crois – et alors seulement notre État aura-t-il une possibilité de vie et verra la lumière du jour. Telle était la pensée, mon cher Glaucon. » (Plato et Jowett 1991, liv. V, 473 c-e.)

Les « philosophes-rois » sont ceux qui aiment la vue de la vérité (Plato et Jowett 1991, 475c), l’argument étant étayé par l’analogie d’un capitaine et de son navire ou d’un médecin et de sa médecine. Franck Fischer estime que le philosophe peut être corrompu, son naturel peut être endommagé et seul un petit nombre s’en échappe (Fischer 2006). Ceux qui possèdent ce naturel deviendront de grands politiciens, bienfaiteurs ou criminels, selon le degré de dégradation. Ceux qui ne sont pas corrompus, comme Socrate, sont touchés par une « faveur divine » (Plato et Jowett 1991, liv. VI, 492a ; 496c). Selon Platon, les philosophes ont la capacité de toucher avec leurs yeux ce qui existe toujours et est identique à lui-même (Plato et Jowett 1991, liv. V, 479a2-3). Ainsi, la formation décrite au livre VII ne concerne pas tant la formation d’un philosophe que celle d’un philosophe tuteur qui devient un bon politicien.

Le philosophe est une personne avec une curiosité sans bornes pour une nouvelle expérience, et c’est son caractère naturel, mais il ne recherche pas spécifiquement la nouveauté, mais la vérité. Il cherche toujours l’unité dans la variété. Sa recherche de connaissances diffère des autres recherches de ce type en ce qu’il essaie toujours d’arriver aux principes ou aux « Formes » qui sous-tendent « le monde d’expérience multiple et changeant, tel qu’il se présente à nous, est l’apparence partielle. Nous devons ensuite nous demander quelle est la portée de cette conclusion sur l’aptitude de la nature philosophique à gouverner ? et cela nous ramène à nouveau à la question : Qu’est-ce qu’implique le fait d’être un bon dirigeant ou gardien ? … Il procède à déduire de la simple conception de l’amour de la vérité toutes les vertus qui lui paraissent faire partie de la nature humaine parfaite. » (Nettleship 1958)

Socrate pointe « l’inutilité des quelques vrais philosophes, la corruption de la plupart de ceux qui sont doués de la nature philosophique, et l’usurpation du nom de philosophe par des charlatans », argumentant avec l’allégorie du navire, dans laquelle le seul l’homme qui pourrait diriger le navire est le vrai philosophe, mais il est méprisé par les autres. Les soi-disant leaders d’opinion ne font que formuler des opinions, sans savoir de quoi ils parlent ; ils ne peuvent jamais être philosophes. D’un autre côté, il y a une catégorie de gens petits et tordus qui finissent par pratiquer la philosophie par intérêt, sans avoir rien de naturel en commun avec elle, en venant développer des théories et des idées mal nées qui circulent dans le monde sous le nom de philosophie philosophique. Ainsi, la philosophie déformée devient « un jargon artificiel de mots et d’idées assemblés comme un puzzle, de manière à paraître cohérent, alors que la vraie philosophie est une harmonie naturelle de paroles et d’actes, de théorie et de pratique ». (Nettleship 1958)

Bibliographie

  • Arrington, Robert L. 1991. A Companion to the Philosophers. Wiley-Blackwell.
  • Castelnérac, Benoît. 2011. « La philosophie de Platon à l’épreuve de l’autobiographie ». Études littéraires 42 (janvier): 81‑93. https://doi.org/10.7202/1011522ar.
  • Fischer, Franck. 2006. « L’accès à l’Idée et l’éducation politique dans la République ». Laval théologique et philosophique 62 (2): 199‑243. https://doi.org/10.7202/014279ar.
  • Goldschmidt, Victor. 1955. « La Ligne de la République et la classification des sciences ». Revue Internationale de Philosophie 9 (32 (2)): 237‑55.
  • Granata, Giovanni. 2001. Filosofia. Alpha Test.
  • Lamarre, Mark. 2013. « Plato’s Dialectical Method ». Academia.Edu, janvier. https://www.academia.edu/1277680/Platos_Dialectical_Method.
  • Magrini, James. 2012. « Dialectic and Dialogue in Plato: Revisiting the Image of “Socrates-as-Teacher” in the Hermeneutic Pursuit of Authentic Paideia ». Philosophy Scholarship, octobre. https://dc.cod.edu/philosophypub/33.
  • Marrou, Henri-Irénée. 1981. Histoire de l’éducation dans l’Antiquité , tome 1. Le monde grec. 0 edition. POINTS.
  • Mondin, Battista. 2022. « Storia della metafisica. Nuova ediz.. Vol. 1: Dalle origini al Neoplatonism ». 2022. https://www.ibs.it/storia-della-metafisica-nuova-ediz-libro-battista-mondin/e/9788855450263?inventoryId=342524196.
  • Movia, G. 1991. Verso una nuova immagine di Platone – autori-vari – Vita e Pensiero – Libro Vita e Pensiero. https://www.vitaepensiero.it/scheda-libro/autori-vari/verso-una-nuova-immagine-di-platone-9788834308158-140657.html.
  • Nettleship, Richard Lewis. 1958. « Lectures on the Republic of Plato ». 1958. https://books.google.ro/books/about/Lectures_on_the_Republic_of_Plato.html?id=IUj51irGmzcC&redir_esc=y.
  • Plato, et Benjamin Jowett. 1991. The Republic: The Complete and Unabridged Jowett Translation. Vintage Books.
  • Rowan, R. J. 2014. « A Guide to Plato’s Republic: The Writing and Speeches of Bob Rowan ». BC Civil Liberties Association. 28 mai 2014. https://bccla.org/2014/05/a-guide-to-platos-republic/.
  • Rutherford, R. B. 1998. The Art of Plato: Ten Essays in Platonic Interpretation. First Edition. Cambridge, Mass: Harvard University Press.
  • Zuckert, Catherine H. 1996. Postmodern Platos: Nietzsche, Heidegger, Gadamer, Strauss, Derrida. Chicago, IL: University of Chicago Press. https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo3623950.html.

Sfetcu, Nicolae, « Platon sur l’éducation – Le roi-philosophe », Telework (6 mars 2022), DOI: 10.13140/RG.2.2.14844.82564, URL = https://www.telework.ro/fr/platon-sur-leducation-le-roi-philosophe/

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