Newton veut simplement réaffirmer la vérité sur l’omniprésence de Dieu sans l’impliquer directement dans la physique du système du monde. (Newton 1687) Newton veut se distancer d’un concept cartésien de Dieu et convaincre les athées que Dieu est une présence réelle dans le monde. Dieu doit exister dans l’espace pour exister l’espace, mais Dieu n’agit pas seulement par contact. John Henry (Henry 2011) croit que Andrew Janiak (Janiak 2008) et Hylarie Kochiras (Kochiras 2009) nous donnent à tort l’image d’un Newton qui croit en l’opportunisme. Mais, affirme Henry, Newton a toujours supposé que Dieu agît par le biais de causes secondaires :
« Il gouverne toutes choses, non pas en tant qu’âme du monde mais en tant que seigneur de tous. Et à cause de son règne, il s’appelle Lord God Pantokrator. Car « dieu » est un mot relatif et fait référence aux serviteurs, et la divinité est la seigneurie de Dieu, non pas sur son propre corps, comme le suppose celui pour qui Dieu est l’âme du monde, mais sur les serviteurs. » (Newton 1687, 940)
Dans l’édition de 1687 des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Newton déclare clairement qu’il n’attribue pas de cause particulière à l’attraction gravitationnelle :
« De même, j’appelle attractions et impulsions, dans le même sens, accélérateur et motif; et j’utilise les mots attraction, impulsion ou propension de quelque nature que ce soit vers un centre, à l’aveuglette et indifféremment l’un pour l’autre; considérant ces forces pas physiquement, mais mathématiquement: donc le lecteur ne doit pas imaginer que par ces mots, je m’engage partout pour définir le genre ou la manière d’une action, ses causes ou sa raison physique, ou que je lui attribue des forces, dans un sens vrai et physique, à certains centres (qui ne sont que des points mathématiques); quand, à tout moment, je parle de centres attirant, ou dotés de pouvoirs attractifs, » (Newton 1713, 908)
affirmant, en même temps, sa foi en la participation de Dieu::
« Lorsque j’ai écrit mon traité sur notre système, j’avais jeté un œil sur de tels principes qui pourraient servir à considérer les hommes pour une croyance en une divinité et rien ne peut me réjouir plus que de le trouver utile à cette fin. » (Newton 1713, 908)
John Henry confirme que Newton n’a jamais nié la possibilité d’une action divine à distance médiée par Dieu, conformément à mon opinion initiale. Dans la pratique, souligne Henry, sans le commentaire de la troisième lettre à Bentley, il n’y a aucune preuve réelle que Newton ait rejeté le concept d’action à distance. À l’appui de cette idée, on peut également faire appel à la Section 11 du Livre I de Principia:
« Je vais maintenant exposer le mouvement des corps qui s’attirent les uns les autres, en considérant les forces centripètes comme des attractions, bien que peut-être – si nous parlons dans le langage de la physique – on puisse plus véritablement les appeler impulsions. Car nous sommes ici concernés par les mathématiques ; et par conséquent, abstraction faite de tout débat concernant la physique, nous utilisons un langage familier afin d’être plus facilement compris par les lecteurs de mathématiques. » (Newton 1687, 561, 588)
Un argument supplémentaire à l’appui de mon idée selon laquelle Newton oscillait entre l’action à distance avec des causes divines et l’action à distance immatérielle, proposition suggérée par Henry, se trouve dans le Scholium General de la deuxième édition du Principia de Newton de 1713, avec la phrase célèbre « Hypotheses non fingo » :
« Jusqu’ici nous avons expliqué les phénomènes des cieux et de notre mer par le pouvoir de la gravité, mais nous n’avons pas encore assigné la cause de ce pouvoir… Je n’ai pas pu découvrir la cause de ces propriétés de la gravité à partir de phénomènes, et je ne formule aucune hypothèse [hypotheses non fingo]; car tout ce qui ne se déduit pas des phénomènes doit s’appeler une hypothèse; et les hypothèses, qu’elles soient métaphysiques ou physiques, de qualités occultes ou mécaniques, n’ont pas leur place dans la philosophie expérimentale… Pour nous, il suffit que la gravité existe réellement et qu’elle agisse selon les lois que nous avons expliquées, et serve abondamment à expliquer tous les mouvements des corps célestes et de notre mer. » (Newton 1713)
Newton pensait qu’il devait y avoir une cause de gravité, mais il n’était pas encore en mesure de se prononcer sur la cause. Mais nous n’avons aucune raison de supposer que Newton a exclu l’action à distance de la gamme des explications possibles. Newton fait d’innombrables hypothèses, y compris dans Principia, ou l’hypothèse de l’éther d’Opticks. (Newton 1730) Ainsi, pratiquement, Newton déclare qu’un scientifique propose des hypothèses, mais il ne peut pas les « inventer » dans le sens où elles sont déterminées par l’expérience, l’observation ou le raisonnement. Newton déclare ainsi qu’il a établi des relations mathématiques, mais pas l’existence de l’éther, en se référant directement au fait que Leibniz a « élaboré » l’hypothèse des vortex.
Newton conçoit l’espace comme indépendant des objets et de leurs relations, et chaque entité doit se connecter à l’espace d’une manière ou d’une autre. Il rejette la pensée cartésienne d’un Dieu sans localisation spatiale. Dans le Scholium Général, ajouté à la deuxième édition du texte de 1713, par exemple, il écrivait à propos de Dieu :
« Il endure pour toujours et est partout présent ; et en existant toujours et partout, il constitue la durée et l’espace. Puisque chaque particule d’espace est toujours, et que chaque moment de durée indivisible est partout, il est certain que le Créateur et le Seigneur des choses ne peuvent être jamais ni nulle part. … Dieu est un et le même Dieu, toujours et partout. Il est omniprésent, non seulement virtuellement, mais aussi substantiellement ; car la vertu ne peut subsister sans substance. » (Newton 1713, 941)
À mon avis, Newton rejette catégoriquement l’idée de matière active. Schliesser soutient cependant, sur la base de l’interprétation de Newton du « Traité du système du monde/De mundi systemate » (Schliesser 2011) que Newton n’exclut pas l’existence de la matière (matérialisée de manière appropriée) en tant qu’agent actif ou cause gravitationnelle. Selon Schliesser, un corps a deux dispositions : un état « passif » pour réagir aux forces imprimées et un état « actif » pour produire une force gravitationnelle. (Schliesser 2008, 85) Mais Newton écrit systématiquement au début du Livre III de Principia à propos de De mundi systemate qu’il s’agit d’une version populaire, la préoccupation de Newton étant plutôt d’ordre méthodologique, et l’idée d’un sujet actif serait incompatible avec les réserves théologiques de Newton pour de telles actions à distance, respectivement il considère la passivité de la matière.
Bibliographie
- Henry, John. 2011. “Gravity and De Gravitatione: The Development of Newton’s Ideas on Action at a Distance.” Studies in History and Philosophy of Science Part A 42 (1): 11–27. https://doi.org/10.1016/j.shpsa.2010.11.025.
- Janiak, Andrew. 2008. “Newton as Philosopher by Andrew Janiak.” Cambridge Core. July 2008. https://doi.org/10.1017/CBO9780511481512.
- Kochiras, Hylarie. 2009. “Gravity and Newton’s Substance Counting Problem.” Studies in History and Philosophy of Science Part A 40 (3): 267–80. https://doi.org/10.1016/j.shpsa.2009.07.003.
- Newton, Isaac. 1687. “Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica, I Ed.” The British Library. 1687. https://www.bl.uk/collection-items/newtons-principia-mathematica.
- ———. 1713. Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, II Ed. https://www.e-rara.ch/zut/338618.
- ———. 1730. Opticks : Or, A Treatise of the Reflections, Refractions, Inflections and Colours of Light. London : Printed for William Innys at the West-End of St. Paul’s. http://archive.org/details/opticksortreatis1730newt.
- Schliesser, Eric. 2008. “Without God: Gravity as a Relational Property of Matter in Newton.” Other. 2008. http://philsci-archive.pitt.edu/4248/.
- ———. 2011. “Newton’s Substance Monism, Distant Action, and the Nature of Newton’s Empiricism: Discussion of H. Kochiras ‘Gravity and Newton’s Substance Counting Problem.’” Studies in History and Philosophy of Science Part A 42 (1): 160–66. https://doi.org/10.1016/j.shpsa.2010.11.004.
Nicolae Sfetcu
Email: nicolae@sfetcu.com
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Sfetcu, Nicolae, « Principia de Newton sur l’action médiée par Dieu », SetThings (30 avril, 2019), MultiMedia Publishing (ed.), URL = https://www.telework.ro/fr/principia-de-newton-sur-laction-mediee-par-dieu/
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