Sfetcu, Nicolae (2024), La démocratie numérique, MultiMedia Publishing, DOI: 10.13140/RG.2.2.36092.14722, https://www.telework.ro/fr/la-democratie-numerique/
Résumé
Selon J. Millard, la gouvernance publique fait référence à « la façon dont les rôles et les relations de tous les acteurs sont organisés, structurés, gérés et administrés, y compris l’équilibre des pouvoirs, la capacité et la compétence, les relations et les leviers dont dispose chaque acteur, en particulier lorsqu’il utilise les technologies numériques ». L’objectif est de fournir des avantages d’intérêt public. Depuis sa création, l’UE a développé de nombreuses politiques visant à promouvoir les valeurs publiques de bonne gouvernance comme moyen de relever ses défis. La révolution numérique a transformé notre façon de travailler, notre environnement, nos interactions sociales et presque tous les aspects de notre vie à l’échelle mondiale. La transformation numérique est devenue un pilier central du plan de relance pour l’Europe, tandis que la facilité pour la reprise et la résilience fournit un soutien financier aux États membres.
Mots-clés : médias sociaux, réseaux sociaux, gouvernance publique, e-gouvernance, démocratie
La démocratie numérique
Nicolae SFETCU[1]
[1] Chercheur – Académie Roumaine – Comité Roumain pour l »Histoire et la Philosophie des Sciences et des Techniques (CRIFST), Division Histoire des Sciences (DIS), ORCID : 0000-0002-0162-9973
Introduction
Selon J. Millard, la gouvernance publique fait référence à « la façon dont les rôles et les relations de tous les acteurs sont organisés, structurés, gérés et administrés, y compris l’équilibre des pouvoirs, la capacité et la compétence, les relations et les leviers dont dispose chaque acteur, en particulier lorsqu’il utilise les technologies numériques » [1]. L’objectif est de fournir des avantages d’intérêt public. Depuis sa création, l’UE a développé de nombreuses politiques visant à promouvoir les valeurs publiques de bonne gouvernance comme moyen de relever ses défis. La révolution numérique a transformé notre façon de travailler, notre environnement, nos interactions sociales et presque tous les aspects de notre vie à l’échelle mondiale. La transformation numérique est devenue un pilier central du plan de relance pour l’Europe (NextGenerationEU), tandis que la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) fournit un soutien financier aux États membres.
Démocratie numérique
Les paradigmes successifs de gouvernance publique semblent s’aligner sur les évolutions et chocs politiques et sociétaux majeurs depuis 1945, ainsi que sur les évolutions technologiques numériques. Les types de paradigmes de gouvernance publique changent de caractère et se diversifient au fil du temps[2]. Au début des années 1990, la génération 1.0 s’est appuyée sur le paradigme wébérien traditionnel de gouvernance publique, stimulant une nouvelle gestion publique et contribuant ensuite à soutenir le paradigme néo-wébérien d’un service efficace et opportun aux citoyens. Vers 2000, les gouvernements ont commencé à utiliser la technologie numérique comme un bien public. L’année 2000 a coïncidé avec le passage de la génération 1.0 à la génération 2.0, qui permet la participation et les interactions bidirectionnelles entre les fournisseurs et les utilisateurs, facilitant les paradigmes de gouvernance des réseaux et les valeurs publiques en tant que deux philosophies politiques. Depuis 2008, la crise financière a simultanément donné naissance à deux paradigmes assez différents de gouvernance publique : une gouvernance allégée et austère, et une nouvelle multitude de paradigmes et de modèles de gouvernance ouverte rendus possibles par la nouvelle technologie sémantique de la génération 3.0. L’année 2015, dans le contexte de la mondialisation et de la croissance économique, et marquée par des inégalités croissantes, un mécontentement et une perte de confiance dans le gouvernement, coïncide avec la montée du populisme et des mouvements « post-vérité », attirés par la technologie distribuée et mobile de la génération 4.0. À partir de 2020, une nouvelle ère de crise, de perturbations et de turbulences émerge, alimentée par la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et les menaces du changement climatique. De nouvelles formes de gouvernance publique sont nécessaires pour relever ces défis existentiels en impliquant les technologies de la génération 5.0 et de la cinquième révolution industrielle.
Aspects concernant les modèles existants de gouvernance publique[3] :
- Les chocs et crises sociétales sont ceux qui influencent le plus fortement l’évolution de la gouvernance publique.
- Les paradigmes de gouvernance publique s’accumulent couche après couche, entraînant une forme de sédimentation au fil du temps, dans un processus de coévolution.
- La combinaison de paradigmes et de modèles dans un lieu et à un moment donné dépend du contexte politique mondial, national et local, ainsi que d’autres facteurs, dans un « mélange réel »
- Les paradigmes de gouvernance génératifs et émergents (cocréation) semblent imminents.
- Le rééquilibrage idéal des pouvoirs et des responsabilités en matière de gouvernance publique n’est pas encore achevé, ce qui nécessite un changement culturel.
J. Millard décrit plusieurs modèles de gouvernance publique, classés en trois groupes principaux : A) dominants, B) nouveaux et expérimentaux et C) nouveaux et émergents[4].
Les modèles dominants de gouvernance publique constituent aujourd’hui les fondements de la gouvernance publique dans tous les pays européens, en fonction de différentes conditions historiques, politiques et culturelles :
1) Administration publique traditionnelle (wébérienne) : depuis 1945 environ, la technologie numérique n’étant pertinente que depuis le début des années 1990.
2) Nouvelle gestion publique (NMP) : basée sur le marché depuis environ 1980, la technologie numérique n’étant pertinente que depuis le début des années 1990.
3) État néo-wébérien : À partir de la fin des années 1990, une réaction contre le NPM et certains retours à une administration wébérienne, mais avec une orientation plus externe.
6) Pauvreté et austérité : Certaines versions du NMP en réponse à la crise financière qui a débuté en 2007-2008.
Ces quatre phénomènes sont cependant moins visibles aujourd’hui. Leur domination s’affaiblit désormais à mesure que de nouveaux paradigmes de gouvernance, souvent rendus possibles par la technologie numérique, sont adoptés.
Modèles nouveaux et expérimentaux de gouvernance publique :
4) En réseau : en raison de l’impact de la technologie numérique de génération 2.0 sur la gouvernance publique depuis environ 2000.
5) Gestion de la valeur publique : Identique à 4).
7) Ouvert : Suite à la crise financière de 2007-2008 coïncidant avec le numérique Génération 3.0.
8) Durabilité : commence à avoir un impact significatif sur la gouvernance publique à partir de 2015 environ, coïncidant avec la technologie numérique de génération 4.0.
9) Localité et communauté : Identique à 8)
Modèles de gouvernance publique nouveaux et émergents : émergents après 2020, et pour l’instant hautement spéculatifs.
David Kaye, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression a déclaré : « Aujourd’hui, être déconnecté d’Internet, c’est être réduit au silence. » [5] Cette transformation numérique remodèle la relation entre les États et les citoyens. Les nouvelles technologies et les médias sociaux ont révolutionné la manière dont les gens interagissent et exercent leur liberté d’expression et d’information, ainsi que d’autres droits fondamentaux connexes – et parfois contradictoires[6]. Les nouvelles technologies de l’information ont créé une nouvelle « sphère publique » pour le débat démocratique, où nous avons besoin d’un modèle différent basé sur les principes de coresponsabilité et de coopération internationale. « Internet est rapidement passé d’une utilisation principalement destinée à l’accès à l’information à un environnement participatif imitant plus fidèlement la participation démocratique traditionnelle dans le monde physique » [7].
La formation de l’opinion devient de plus en plus collaborative et autorégulatrice (par exemple, Wikipédia, Facebook), et l’activisme politique a trouvé de nouveaux moyens efficaces de s’organiser et de s’exprimer[8]. En démocratie, Internet en facilite trois aspects : électoral, de contrôle et délibératif[9] :
« La démocratie électorale est communément connue dans le contexte d’Internet sous le nom de « e-gouvernement » … La démocratie de contrôle fait référence à l’activisme ascendant et populaire qui peut être facilité par Internet…. La démocratie délibérative fait référence à la participation des individus à un débat ouvert dans la conviction que cela conduira à de meilleures décisions sur des questions d’intérêt commun. » [10]
Les nouvelles technologies de l’information rendent les processus démocratiques plus accessibles, permettant aux citoyens de s’organiser et d’agir pour résoudre des problèmes sociaux, économiques ou politiques spécifiques. Ils permettent également une plus grande transparence et responsabilité, élargissent la portée de la « sphère publique » et renforcent la démocratie délibérative :
Selon une étude menée par Bond et al (2012) auprès de 61 millions d’utilisateurs de Facebook, l’échange de messages entre eux avait une influence directe sur leur opinion politique, et cette influence s’étendait aux « amis proches » [11]. Il existe une forte corrélation positive entre l’utilisation d’Internet et des médias sociaux, d’une part, et le soutien à la démocratie en tant que forme de gouvernement souhaitable, d’autre part[12]. L’utilisation généralisée d’Internet et des réseaux sociaux permet une connaissance plus précise des intérêts des citoyens et facilite l’organisation de mouvements sociaux à grande échelle[13].
Les variables de démocratie surveillées sont intégrées dans la catégorie de démocratie délibérative. L’accès à Internet est devenu si important que « de nombreux États, comme l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce et l’Espagne, ont reconnu par voie législative l’accès à Internet comme un droit fondamental » [14]. « L’accès à Internet en tant que droit fondamental a reçu l’approbation des Nations Unies (ONU) dans un rapport de Frank La Rue, le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression » [15], et La Cour européenne des droits de l’homme a statué que le blocage d’Internet pourrait être « en conflit direct avec le libellé même du paragraphe 1 de l’article 10 de la Convention, selon lequel les droits énoncés dans cet article sont garantis « sans distinction de frontières » » [16].
Mais même si « Internet a le pouvoir d’être un outil de démocratie… son potentiel à cet égard est menacé… [car] la même technologie qui facilite le discours crée des opportunités de censure de l’information, de surveillance des pratiques en ligne et de façonnage et de modification subtils et manipulation du comportement. » [17]
Internet et les médias sociaux sont des technologies très utiles pour promouvoir la démocratie représentative, démocratiser la production de contenu et effacer les frontières et les juridictions. Mais en même temps, ils ont centralisé les canaux de distribution entre les mains de quelques acteurs privés très puissants, propriétaires des autoroutes de l’information, suffisamment puissants pour dicter les termes des libertés sociales, individuelles et politiques, devenant ainsi un tiers acteur sur la scène démocratique. Pour cette raison, la régulation d’Internet dans le domaine international nécessite une discussion complexe et plus nuancée, en tenant également compte du fait que la limitation excessive des droits individuels pourrait également avoir un impact sur d’autres droits nécessaires à la survie des régimes démocratiques libéraux. [18]
Les principales conclusions actuelles sur la technologie numérique et la gouvernance publique comprennent[19] :
- Tout est influencé par les technologies numériques.
- La mise en œuvre des technologies est conditionnée par des conditions organisationnelles, institutionnelles, juridiques, éthiques et sociales, ainsi que par des défis tels que l’exclusion numérique et la fracture numérique croissante.
- La réutilisation des technologies et des données numériques pourrait être considérée comme le seul moyen possible d’atteindre l’équité, la transparence, la responsabilité et l’inclusion.
- La complexité des relations entre l’homme et la technologie doit tenir compte de la manière dont les humains sont affectés par les machines numériques.
- La multiplicité simultanée des paradigmes de gouvernance publique est une réponse contextuelle aux différences politiques, socio-économiques et culturelles dominantes.
- Les services publics sont adaptés au contexte, prêts pour le numérique et interopérables de par leur conception.
- Nous recherchons toujours les meilleures façons d’utiliser les données et les technologies numériques.
Conclusion
Les principales conclusions actuelles sur la technologie numérique et la gouvernance publique comprennent[20] :
- Tout est influencé par les technologies numériques.
- La mise en œuvre des technologies est conditionnée par des conditions organisationnelles, institutionnelles, juridiques, éthiques et sociales, ainsi que par des défis tels que l’exclusion numérique et la fracture numérique croissante.
- La réutilisation des technologies et des données numériques pourrait être considérée comme le seul moyen possible d’atteindre l’équité, la transparence, la responsabilité et l’inclusion.
- La complexité des relations entre l’homme et la technologie doit tenir compte de la manière dont les humains sont affectés par les machines numériques.
- La multiplicité simultanée des paradigmes de gouvernance publique est une réponse contextuelle aux différences politiques, socio-économiques et culturelles dominantes.
- Les services publics sont adaptés au contexte, prêts pour le numérique et interopérables de par leur conception.
- Nous recherchons toujours les meilleures façons d’utiliser les données et les technologies numériques.
Bibliographie
- Basco, Ana Inés. « Techno-Integration of Latin America: Institutions, Exponential Trade, and Equality in the Era of Algorithms ». IDB Publications, 17 novembre 2017. https://doi.org/10.18235/0010684.
- Bond, Robert M., Christopher J. Fariss, Jason J. Jones, Adam D. I. Kramer, Cameron Marlow, Jaime E. Settle, et James H. Fowler. « A 61-Million-Person Experiment in Social Influence and Political Mobilization ». Nature 489, no 7415 (septembre 2012): 295‑98. https://doi.org/10.1038/nature11421.
- Cohen, Cathy, et Joseph Kahne. « Participatory Politics: New Media and Youth Political Action ». Youth and Participatory Politics Research Network, 1 juin 2012.
- European Court of Human Rights. « Yildirim v. Turkey ». Global Freedom of Expression, 2012. https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/ahmed-yildirim-v-turkey/.
- Laidlaw, Emily B. Regulating Speech in Cyberspace: Gatekeepers, Human Rights and Corporate Responsibility. Cambridge University Press, 2015.
- Millard, Jeremy. « Impact of Digital Transformation on Public Governance ». JRC Publications Repository, 19 juin 2023. https://doi.org/10.2760/204686.
- Parliamentary Assembly. « The right to Internet access », 2014. https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=20870&lang=en.
- Vargas Valdez, José Luis. « Study on the Role of Social Media and the Internet in Democratic Development ». EUROPEAN COMMISSION FOR DEMOCRACY THROUGH LAW (VENICE COMMISSION), 2018. https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-LA(2018)001-e.
Notes
[1] Millard, « Impact of Digital Transformation on Public Governance ».
[2] Millard.
[3] Millard.
[4] Millard.
[5] Vargas Valdez, « Study on the Role of Social Media and the Internet in Democratic Development ».
[6] Parliamentary Assembly, « The right to Internet access ».
[7] Laidlaw, Regulating Speech in Cyberspace, 7.
[8] Cohen et Kahne, « Participatory Politics ».
[9] Vargas Valdez, « Study on the Role of Social Media and the Internet in Democratic Development ».
[10] Laidlaw, Regulating Speech in Cyberspace, 10‑11.
[11] Bond et al., « A 61-Million-Person Experiment in Social Influence and Political Mobilization ».
[12] Basco, « Techno-Integration of Latin America ».
[13] Cohen et Kahne, « Participatory Politics ».
[14] Vargas Valdez, « Study on the Role of Social Media and the Internet in Democratic Development ».
[15] Laidlaw, Regulating Speech in Cyberspace, 20‑21.
[16] European Court of Human Rights, « Yildirim v. Turkey », paragr. 67.
[17] Laidlaw, Regulating Speech in Cyberspace, 1.
[18] Vargas Valdez, « Study on the Role of Social Media and the Internet in Democratic Development ».
[19] Millard, « Impact of Digital Transformation on Public Governance ».
[20] Millard.
Extrait du livre : Sfetcu, Nicolae (2024), Le rôle des médias sociaux dans la démocratie, la nouvelle gestion publique et la gouvernance électronique, MultiMedia Publishing, ISBN 978-606-033-871-0, DOI: 10.58679/MM18974, https://www.telework.ro/fr/e-books/le-role-des-medias-sociaux/
Laisser un commentaire